Laure Lafage 01 ACEI 2015

01 – Récit d’une expérience pour développer la cohésion au sein d’une classe de seconde générale et technologique dans un lycée polyvalent

 Soumis par  Laure Lafage

Numéro 01- Récit d’une expérience pour développer la cohésion au sein d’une classe de seconde générale et technologique dans un lycée polyvalent

Laure Lafage

 CPE- Lycée Louis Jouvet- 95150 Taverny

Mots clés : Coopération-élèves- innovation

Résumé : Il s’agit de présenter un dispositif innovant, concernant la prise en charge d’une classe de seconde générale et technologique en lycée, ayant pour objectif de développer un esprit de cohésion dans la classe pouvant induire une dynamique de coopération entre les élèves. Dans un premier temps, les modalités de mise en place de ce dispositif ainsi que ses caractéristiques seront décrites puis sera proposée une analyse de ses points d’ancrage ainsi que des points butée que sa mise en œuvre a rencontrés.

 Je me propose de partager ici le récit d’une expérience professionnelle que j’ai menée en 2012/2013 auprès d’une classe de seconde générale et technologique dans un lycée polyvalent, avec la volonté de favoriser un esprit de cohésion et de coopération au sein de cette classe.

Je suis conseillère principale d’éducation depuis une vingtaine d’années dans l’académie de Versailles et je travaille depuis six ans dans un lycée polyvalent de la région parisienne. En appui sur toute mon expérience de Conseillère Principale d’éducation (CPE) et en lien avec certains éléments extraits des conseils de classe auxquels j’ai assisté, j’ai pu réaliser les constats suivants. D’un côté, les élèves qui entrent en seconde au lycée se trouvent désorientés dans leur rapport à l’école et dans leurs apprentissages. L’arrivée au lycée est vécue sous le signe d’une certaine liberté pour les adolescents, en effet ils ont le sentiment d’être plus libres qu’auparavant car les entrées et sorties ne sont plus réglementées de manière stricte, les heures de permanences ne sont plus surveillées ou encore déjeuner à la demi-pension n’est plus obligatoire. D’un autre côté, les changements dans l’organisation mais aussi dans les modalités de travail impliquent un réajustement dans le rapport des élèves aux apprentissages. Pour un certain nombre d’entre eux, le travail consiste, pour apprendre, à seulement relire le cours la veille du contrôle en espérant avoir une note correcte. Et le plus souvent cela ne fonctionne pas, les élèves sont alors découragés voire démobilisés, et ne savent pas toujours comment rebondir. Avec un collègue enseignant de Sciences de la Vie et de la Terre (Frédéric Guilleray) et le professeur principal de seconde depuis plusieurs années avec lequel je me sentais très en phase sur les constats effectués et l’envie de remédier à cet état de fait, nous avons eu l’intuition que travailler autrement avec les élèves en développant un sentiment d’appartenance et un esprit d’entraide dans une classe permettrait de mieux investir le travail scolaire, de lutter contre le décrochage et pourrait être un élément d’étayage pour ces élèves adolescents.

Nous avons alors imaginé, de manière plutôt intuitive, un dispositif innovant qui serait tenu sur la totalité de l’année scolaire pour permettre de développer un esprit de coopération entre les élèves et une relation aux adultes plus « confiante ». Ce dispositif s’appuierait sur trois axes : un stage collectif de 3 jours en début d’année, diverses activités en classe autour des apprentissages tout au long de l’année et la réalisation d’un projet annuel qui serait au service de l’établissement. Nos hypothèses étaient que ces actions allaient permettre aux élèves et aux enseignants de mieux vivre ensemble, d’apaiser d’éventuelles relations conflictuelles et seraient au service d’une mise au travail des élèves plus rapide et plus efficace. L’esprit de cohésion pourrait peut-être prévenir les phénomènes de dérives liés au mal-être individuel des élèves et aussi renforcer le développement de leurs compétences cognitives et sociales (comme la compréhension des consignes et des messages contenus dans les cours, l’écoute, l’entraide, la recherche de leurs points forts et de leurs points faibles, ainsi qu’une participation active et créative…). Nous avons coopté des enseignants volontaires pour constituer une équipe pédagogique motivée pour ce projet. L’idée était d’avoir des enseignants disposés à réfléchir pour enseigner autrement ou encore pour prendre en charge des activités hors classe. Nous avons aussi proposé des outils spécifiques d’apprentissage aux élèves et envisagé les modalités différentes d’évaluation.

Je vais maintenant présenter plus précisément quelques éléments de ce projet lié aux premiers axes et j’essaierai de montrer en quoi ils ont été porteurs d’un certain étayage pour les élèves et qu’est-ce qui fait que ces activités n’ont pas eu complétement l’effet envisagé. La constitution de cette classe que nous avons appelée « classe cohésion » a été faite de manière aléatoire en ce qui concerne la répartition entre les filles et les garçons et entre les élèves venant de collègues différents ; seuls des élèves faisant de l’anglais et de l’espagnol ont été choisis pour cette classe. Les familles ont été contactées pour assister à une réunion afin que nous leur présentions le projet et ses objectifs, l’équipe pédagogique, le financement[1]. Il y avait la possibilité, pour les élèves comme pour les familles, de refuser de participer à ce projet. Un élève s’est dit réticent à l’idée du stage collectif de 3 jours mais après discussion avec sa famille, il a finalement décidé de rester dans cette classe.

Le séminaire de début d’année a été pensé comme un temps pour faire connaissance, créer du lien entre élèves mais entre les élèves et les professionnels adultes. L’ensemble de l’équipe a participé à ces 3 jours. Nous avons alterné des temps de rencontre pour faire connaissance avec des temps sportifs : pratique d’un parcours nécessitant la coopération de tous les membres de l’équipe, adultes et élèves ensemble, et escalade. Nous avons travaillé les règles incontournables associées au règlement intérieur de l’établissement et les règles plus spécifiques pour cette classe de seconde. Nous avons commencé par l’élaboration d’un calendrier de classe sur les événements à partager pour le vivre ensemble, puis partagé des échanges sur les points communs entre les personnes ainsi que sur les points forts scolaires de chacun pour la mise en place de groupes de travail et d’entraide.

Dans l’après coup, il me semble que ce temps a créé un lien privilégié entre les élèves, entre les professionnels adultes, et entre les élèves et les professionnels adultes. Chacun a pu porter un regard attentif sur l’autre et être entendu dans une parole singulière. Dans son ouvrage Vivre ensemble, un enjeu pour l’école, Francis Imbert souligne que « la question du vivre ensemble, à l’école, comme ailleurs, se ramène aux enjeux de la parole : parole qui asservit ou parole qui délivre ; parole maîtresse de la règle ou parole travaillée par l’ouvert de la loi ». Cet auteur montre que c’est la prise en compte de la parole de l’autre qui va être un déclencheur pour la différenciation, le partage[2]. Ce séminaire a été, à mon sens, un accélérateur pour différentes choses : les élèves et les enseignants ont appris à se connaître très vite, chacun a pu voir les points forts des uns et des autres ; pour notre part, nous avons pu identifier très rapidement les élèves qui seraient certainement parties prenantes dans le projet et moteurs dans la prise en main de certaines activités et cela s’est révélé pertinent lors de la mise en place des groupes de travail et de la prise en charge du projet collectif. Chacun a pu faire l’expérience d’être entendu, écouté sans jugement, et a constaté que les désaccords pouvaient se dire sans créer de rupture du lien et que, pour les jeunes, leur parole était recevable au même titre que celle d’un adulte.

Ce que nous n’avions pas mesuré, anticipé est que ce séminaire allait être un frein à la mise au travail des élèves lors des premières semaines au lycée. Les élèves ont, semble t-il, considéré ce séminaire comme un temps de loisir, un prolongement des vacances et la mise au travail lors du retour au lycée n’a pas été facilitée, à notre grande surprise, et peut-être même paradoxalement rendue plus difficile. En effet nous n’avons peut-être pas assez insisté sur le fait que le séminaire de trois jours était un temps dédié au travail, qu’une meilleure connaissance des uns et des autres serait un point d’appui pour faire progresser chacun au plus loin de ce dont il était capable pendant l’année de seconde.

En général, lors de l’entrée au lycée, nous accueillons des élèves qui sont encore des collégiens, qui sont plutôt réceptifs aux demandes des enseignants, or, pour cette classe, nous avons eu à vivre une plus grande résistance à l’entrée dans le travail scolaire de lycéen que d’habitude.

Au retour du séminaire, nous avons mis en place les heures de vie de classe bi-mensuelles, que nous avons animées à deux, mon collègue Frédéric et moi, ou en parallèle, ainsi que de l’accompagnement personnalisé en demi groupes toutes les semaines. Notre objectif, je crois, était de montrer aux élèves que nous mettions à leur disposition un dispositif particulier et que cela pourrait être porteur pour eux s’ils acceptaient de s’en emparer.

Je vais ici illustrer mes propos par deux exemples qui me paraissent montrer comment cet accompagnement a permis à des élèves de renouer avec une certaine confiance en eux et comment il a tenu lieu d’une forme d’étayage dans le sens de point d’appui, pour être moteur de la cohésion du groupe classe.

Le premier outil expérimenté avec les élèves a été l’arbre de vie : quelques adultes de l’établissement avaient d’ailleurs eu l’occasion lors d’un stage animé par Dina Scherrer de vivre une telle expérience[3]. L’arbre de vie est un outil qui permet de travailler sur la confiance en soi et de faire prendre conscience de ses compétences et de ses points d’appui. Il s’agit pour chacun de dessiner un arbre, les racines représentent ce qui nous enracine, ce qui nous porte, le tronc représente les qualités que nous nous reconnaissons personnellement ou qui nous sont reconnues par les autres, les branches principales sont les projets de vie, les rêves, les branches secondaires porteront des feuilles et des fruits. Les feuilles sont les personnes qui comptent pour nous, qu’elles soient réelles ou imaginaires, vivantes ou mortes et les fruits sont les cadeaux de la vie. Le sol entre les racines et le début du tronc représente l’engrais, c’est-à-dire ce qui nous permet de grandir, ce dont nous avons absolument besoin pour avancer, évoluer.

Nous avons animé, mon collègue Frédéric et moi, ce travail par demi-groupe et sur deux séances d’une heure afin que tout le monde prenne le temps de construire son arbre, l’étoffe et partage avec les autres membres du groupe certains éléments. Nous avons également réalisé notre arbre de vie, mon collègue et moi-même, lors de la première séance. Les élèves ont eu la possibilité de conserver leur arbre entre les deux temps de travail pour éventuellement le compléter chez eux. Le deuxième temps de travail était comme une sorte d’approfondissement du travail de la séquence précédente, permettant ainsi à chacun d’ajouter des éléments aux arbres des uns et des autres. Nous avons accroché au mur les différents arbres et nous avons pris quelques instants pour déambuler et lire les différents dessins. Il y avait, lors de cette déambulation, la possibilité de mettre un post-it sur les arbres en ajoutant un mot, un commentaire, une caractéristique que nous voulions souligner. Ensuite, nous avons demandé si un élève souhaitait présenter son arbre, en dire quelque chose à partir de questions que nous lui posions. La bienveillance, le respect de la parole de celui qui parle étaient impératifs ainsi que la confidentialité des propos échangés et celui qui présentait pouvait à tout moment mettre fin à l’échange. Puis, il y avait un dialogue avec le reste du groupe, pour dire son étonnement, rebondir sur une parole, un trait commun par exemple. Il me semble que ce genre de travail a permis de vivre la prise de parole dans un climat de bienveillance et nous avions fait l’hypothèse que cela autoriserait peut être les élèves à prendre plus aisément la parole en cours par la suite.

Je voudrais parler ici d’une jeune fille très réservée, que je prénommerai pour mon propos, Marianne. Elle était plutôt bonne élève et depuis quelque temps, ses silences en cours nous interrogeaient, elle semblait triste, cela contrastait avec la pertinence des travaux rendus et de son travail personnel. Elle avait tenté de faire son arbre de vie, cependant le tronc était resté vide un long moment, et malgré nos sollicitations, nos questions sur ce que les gens de son entourage, par exemple, disaient d’elle, elle n’arrivait à inscrire ni des compétences ni des qualités qu’on lui reconnaissait. Ce moment nous a beaucoup touchés, mon collègue et moi-même, car nous avons alors mesuré que cette proposition de travail pouvait mettre mal à l’aise une personne, mais était également le catalyseur d’une certaine forme de retenue, de pudeur ou encore de peur à se dire. C’est avec l’aide de quelques camarades de classe et la nôtre que le tronc de l’arbre de Marianne s’est peu à peu rempli de mots comme « calme », « patiente », « gentillesse ». Il me semble que les mots proposés par plusieurs des camarades de classe l’ont étonnée, elle paraissait ébahie d’être perçue ainsi. Marianne a eu la surprise de voir de nombreux mots ajoutés à son arbre et nous avons entendu des paroles très touchantes à son égard durant le moment de déambulation.

Dans l’après-coup, je peux mesurer la puissance de ce travail d’échanges avec les élèves, cet exemple d’un travail collectif entre les élèves et des adultes a permis, me semble t-il, la mise en place d’un regard nouveau entre élèves et entre eux et les professionnels adultes. Nous avons constaté un respect et une émotion très forts lors des échanges autour des arbres. Je pense que ces actions ont permis de construire une forme de confiance différente de celle que l’on rencontre habituellement à l’école. Les élèves ont fait preuve d’une très grande maturité à nos yeux, il n’y a eu aucune moquerie, aucun mot inadapté et les éléments partagés sont restés au sein du groupe. Les élèves n’ont pas parlé de ce qu’ils avaient vu ou lu des arbres des uns et des autres en dehors de ce temps de travail, nous non plus. Il me semble que cela renforce l’idée que le regard bienveillant que l’on peut porter sur l’autre, les mots exprimés étant l’objet d’une attention à l’autre peu fréquente dans les établissements scolaires, sont des éléments qui permettent de vivre l’installation d’une confiance mutuelle. Cette expérience pour les élèves adolescents et pour les adultes professionnels permet d’installer une relation différente. Je fais l’hypothèse que cette bonne expérience a pu être intégrée comme un bon objet que l’on va garder en soi et sur lequel on pourra s’appuyer ultérieurement.

Les relations qui se sont développées dans cette classe, du côté des élèves mais aussi entre les élèves et les enseignants, ont montré des liens d’entraide plus actifs que dans les autres classes de secondes et les élèves ont également été dans une dynamique collective plus marquée. Cependant cette énergie n’a pas été, autant que nous l’avions souhaité, au service de l’investissement dans le  travail scolaire.

Nous avions imaginé que développer la cohésion permettrait d’augmenter l’ambition des élèves et de développer une implication scolaire plus forte. Or les résultats quantitatifs au plan de la mesure des performances dans cette classe de seconde ont été plus fragiles que pour les autres classes de seconde ; le nombre de propositions de passage en classe de premières qu’elles soient générales ou technologiques, suite au conseil de classe, a été moins nombreux. Cependant, nous avons constaté une ambiance de classe plus apaisée, un nombre très faible d’exclusions de cours et peu de tension entre élèves ainsi qu’entre élèves et enseignants. Je fais l’hypothèse, dans l’après coup de ce travail, que l’accueil que nous avons réservé et pensé pour ces élèves leur ont permis de vivre un autre type de relation entre adolescents et adultes que celle ordinairement vécu dans un établissement scolaire. Celle-ci s’est appuyée sur la confiance que nous leur avons portée, la place que nous leur avons donnée et le soin que nous avons pris pour les mettre au travail. Il me semble que le plaisir d’inventer avec mon collègue Frédéric, de partager nos questions et notre volonté que quelque chose se passe ont été un élément soutenant pour les élèves. Je me rends compte que nous n’avions pas élaboré sur ces questions spécifiquement mais notre posture intérieure de confiance l’un envers l’autre a probablement été un atout majeur pour soutenir ce dispositif et c’est peut être ce qui a été transmis à notre insu sur la qualité des relations ainsi que sur le climat de la classe.

Le deuxième exemple dont je voudrais parler est le dispositif que j’appellerai l’heure d’aide aux devoirs. Au cours du premier trimestre, une heure de permanence, existante dans l’emploi du temps des élèves en milieu de matinée, a été utilisée comme une heure de travail scolaire encadrée par un professionnel, avec présence obligatoire des élèves. L’idée était de contraindre, dans un premier temps, les élèves à utiliser les heures libres dans leur emploi du temps pour travailler ensemble et les amener peu à peu à se retrouver seuls pour faire leur travail scolaire. De plus, il a été convenu que ce ne serait pas un enseignant qui assurerait ce temps de travail mais la Conseillère Principale d’éducation, c’est-à-dire moi-même. Dans l’après coup, je pense que nous n’avions pas vraiment élaboré les raisons sous-jacentes à cette décision mais il nous semblait important de montrer aux élèves que les fonctions des adultes sont complémentaires et que chacun peut apporter sa pierre à l’édifice. Il me semble que cela confortait notre volonté de construire une relation du côté de l’exceptionnel (dans le sens de « unique ») et que, pour des adolescents, faire l’expérience de la rencontre avec des adultes sur des modalités de travail originales serait un point d’appui dans leur construction d’élève et donc d’adolescent. Dans l’après-coup, je crois aussi qu’en temps que conseillère d’éducation, il était important pour moi de vivre quelque chose du côté de l’enseignant. Peut-être est-ce que je faisais l’hypothèse que cette relation autour du travail scolaire serait un point d’appui lors des temps plus spécifiques liés à la vie scolaire. Je crois que ce dispositif venait résonner pour moi sur mon rapport au groupe. Je suis habitée par la certitude que le groupe est facteur de richesse, porteur d’entraide et que le collectif permet de sortir de situations de crises plus vite et par des chemins jusqu’alors impensés. Il me semble, dans l’analyse que je fais de cette expérience, que j’étais peut être en train de créer pour des élèves adolescents un espace groupal de travail sécurisant, structuré autour de la prise en charge singulière des élèves, espace que j’aurais peut-être aimé avoir lors de ma propre entrée au lycée.

 Lors de cette heure de travail, les élèves avaient comme consignes d’apporter leur matériel pour travailler, venir avec des questions qu’ils souhaitaient traiter, il s’agissait d’utiliser ce moment pour un travail en petit groupe avec un élève expert par groupe. Nous avons répertorié, lors que la première séance, les compétences de chacun et mis en place des groupes de travail. Par exemple un groupe de 5 élèves travaillaient sur les exercices de mathématiques ou encore des exercices à faire en sciences et vie de la terre avec parmi eux un élève expert qui était en capacité d’expliquer, d’aider. Cette modalité de travail a un peu déstabilisé les élèves dans un premier temps, ils avaient tendance à discuter plutôt qu’à travailler et je devais faire un peu de discipline, les rappeler à l’ordre pour ouvrir leur cahier ou ranger leur téléphone portable. Mais rapidement, avec l’arrivée de la période des premiers contrôles, cette heure a été utilisée pour réviser, s’interroger les uns les autres, se fournir des explications ou en demander.

Je prendrai ici l’exemple d’un élève que je nommerais Richard, à propos d’un travail en français. Les élèves avaient à lire un chapitre du livre Thérèse Raquin d’Émile Zola et ils devaient répondre à des questions précises sur ce chapitre. Une fois les groupes de travail organisés et installés, Richard, qui est dans le groupe qui travaille sur le français, dit qu’il ne comprend rien, que c’est trop dur, rapidement les quatre élèves qui sont installés avec lui commencent à échanger sur le chapitre ; je suis en ce début d’heure installée avec ce groupe. Richard constate assez vite qu’il a des éléments de réponses aux questions posées par le professeur de français et que ses camarades aussi s’interrogent ; ainsi le travail autour de ce chapitre se fait sans que personne ne voie l’heure passer. Les paroles de Richard m’ont d’ailleurs étonnée, il m’a dit quelque chose comme je ne savais pas que j’avais compris, que je savais des choses. Ce sont des petits moments comme ceux-là qui me font penser que développer l’entraide peut être un atout, peut amener des élèves à découvrir leurs ressources là où ils ne pensaient pas en avoir, à prendre conscience qu’ils savent un certain nombre de choses. Il s’agissait pour nous de le leur donner à voir et de leur donner à penser que l’enseignant n’est pas le seul à être une ressource. Là encore, c’est dans l’après coup que je mesure ce que nous avons tenté d’initier. Peut-être s’agissait-il également de nous rassurer sur les compétences des élèves, dans un quotidien où l’on entend souvent que le niveau baisse, que les élèves ne savent plus rien. Faire l’expérience que nous avons en nous une part de ce que nous cherchons, et que l’on ne sait pas ce que l’on sait, était peut-être à l’œuvre pour Frédéric et pour moi ; ainsi nous en transmettions quelque chose aux élèves dans ce dispositif à notre insu.

Les élèves ont pu vivre en groupe quelque chose de la difficulté de l’apprentissage, de la crainte de l’inconnu, en toute bienveillance et en étant reconnu dans cette difficulté, il m’est aussi arrivé à plusieurs reprises de partager leurs doutes et leurs inquiétudes et je pense que cela leur a montré que les adultes, et en particulier à l’école, sont aussi des êtres humains qui doutent. Ils ont aussi fait l’expérience que le professionnel adulte n’est pas toujours un expert. Je crois que cela a été, parfois, un étonnement pour certains élèves que je sois incapable de les aider spontanément à faire tel ou tel exercice et qu’il me fallait reprendre le cours, ouvrir le livre pour les aider à faire le travail attendu. Il me semble que vivre cela avec des adolescents peut être un facteur de réassurance, ils voient ainsi que l’adulte doit chercher, qu’il se trompe et donc cela les autorise peut-être à mieux accepter leurs propres tâtonnements et erreurs.

Je constate, également, que les élèves et l’équipe enseignante qui ont vécu ensemble cette expérience, ont partagé quelque chose d’unique, qui les a fait grandir, qui les a mutuellement enrichis. Au sein de l’institution scolaire, il n’est pas si courant de vivre des temps où c’est le lien à l’autre qui est mis en avant, nous sommes plus habitués à une relation basée sur la seule transmission des savoirs.

Cette expérience a été menée il y a trois ans, et un certain nombre d’élèves sont maintenant en classe de terminales dans le même établissement et je crois que les liens qui se sont établis lors de cette année-là ont profondément modifié nos rapports les uns aux autres. Une forme de confiance dans les adultes enseignants comme référents, comme soutien dans leur construction d’élève mais aussi d’adolescent a été créée pour les protagonistes. Il me semble que le rapport aux adultes pour quelques uns de ces élèves a été un réel étayage au moins dans leur scolarité et, pour d’autres, un étayage dans leur construction adolescente. Cependant, un travail de théorisation reste à faire pour soutenir cette hypothèse.

Je voudrais terminer mon propos en m’interrogeant sur ce projet, en quoi a t-il été étayant pour les élèves, quelle genre de sécurité a t-il permis ? Je crois pouvoir dire que cela a tout d’abord permis une rencontre, un groupe de jeunes a rencontré un groupe d’adultes professionnels dans un espace qu’ils ont eu à partager pendant un certain temps mais où une rencontre humaine effective n’a pas toujours lieu. L’école nous fait nous côtoyer mais il n’existe pas de temps formalisé pour la rencontre avec la singularité, c’est la classe qui est l’unité de mesure et le lieu d’adaptation attendu. Il me semble qu’à l’école, les adolescents sont assignés à une place d’élève et non pas de sujet, les adultes sont convoqués à une place d’expert des savoirs et non de personne, ni de sujet et cela ne facilite pas l’installation d’un lien qui puisse être investi par les adolescents comme un élément d’étayage, de sécurité dans cette période de leur vie.

Je crois pouvoir dire que l’école est plus souvent source de méfiance de la part des élèves vis-à-vis des adultes qu’un lieu de rencontre entre des personnes. En effet, nous sommes plus habitués dans le milieu scolaire à porter des jugements, à souligner la faute, le manquement qu’à construire de la bienveillance et de la confiance dans les capacités de progression des jeunes que nous recevons. Le temps du lycée est un temps de construction de savoirs et parallèlement le temps de l’adolescence, « un processus naturel, un signe de bonne santé, auquel il s’agit de « faire face », auquel il faut laisser du temps »[4]. Les élèves qui arrivent sont encore des enfants et lorsqu’ils ressortiront ce seront des adultes, qui devraient avoir appris le sens critique, le doute, le respect de l’autre et le sens de l’effort.

Le lycée, c’est aussi un espace de liberté. C’est ainsi que l’on voit des adolescents développer des comportements de désinvolture très marqués, l’impression qu’ils ont le temps, le sentiment qu’ils gèrent leur scolarité et qu’il suffit de vouloir pour y arriver, or cela ne se passe pas du tout comme ils l’imaginent et c’est alors que la fonction d’étayage des adultes est primordiale. Il me semble que tout ce qui peut mettre les enseignants et les élèves dans une relation un peu différente que celle habituellement connue de l’expert face au novice, du dominant face au dominé sera source de richesse.

Mon expérience professionnelle de plus de 20 ans comme conseillère principale d’éducation dans divers établissements scolaires du second degré me laisse penser que le regard que je porte sur les élèves adolescents m’a donné une forme d’expertise. Je crois pouvoir dire que la mise en place de ce projet, la volonté de quelques adultes de voir se développer des relations différentes entre les élèves et les adultes enseignants leur a donné l’occasion de vivre quelque chose du côté de la bienveillance et de la sécurité dans leur construction identitaire. Les adultes ont tenu leur place d’adulte, exigeants, rigoureux, à l’écoute sans laisser croire aux élèves que la réussite, la progression pouvaient se réaliser sans efforts.

Le regard que je porte sur ce projet, trois ans après, reste du côté de la surprise, aussi bien en ce qui concerne les résultats obtenus par ces élèves lors de leur année de seconde que sur la non reconduction du projet, le peu de rayonnement que cela a eu au sein de l’établissement.

Dans l’après coup, nous avons constaté que nous n’avions travaillé qu’à deux finalement et que nous avions emmené dans notre sillage des collègues séduits et volontaires et des élèves curieux de voir ce qui allait advenir mais que nous n’avions pas réussi à enrôler un collectif plus large. Nous avons tout au long de l’année, mon collègue Frédéric et moi, réfléchi, ajusté, inventé les temps que nous animions à deux avec les élèves mais nous n’avons pas assez impliqué le reste des enseignants, qui ont pourtant toujours été réceptifs et preneurs de nos initiatives. Étions-nous dans une forme d’illusion inconsciente que la création du collectif des élèves induirait le collectif des adultes ? C’est comme si nous n’avions pris soin que des élèves et peu des adultes, peut-être imaginions-nous que le collectif des adultes allait se révéler tout seul sans effort particulier pour le mobiliser? Ce type de projet nécessite des temps de rencontres, de construction collective de séances d’enseignement et des ajustements très réguliers et cela est chronophage et inhabituel dans les pratiques enseignantes, peut-être que cela suppose l’instauration d’un temps de préparation porté et affirmé par l’institution et commun à tous. Je peux souligner ici que le chef d’établissement a été partie prenante de ce projet en facilitant les temps de rencontres, en suivant de près les résultats de cette classe, mais cela n’a pas été suffisant. Pour conclure je formule le souhait que le fait d’avoir partagé des relations bienveillantes et riches avec les autres, en particulier des professionnels adultes, sera un atout pour ces jeunes, qui à leur tour, pourront être des ressources pour d’autres.

Bibliographie :

Golse, B. et Braconnier, A. (2012). Introduction in Bernard Golse et al., Winnicott et la création humaine, ERES « Le Carnet psy » , 7-15.
doi : 10.3917/eres.golse.2012.01.0007

Imbert, F (1997). Vivre ensemble, un enjeu pour l’école. Paris : ESF.

[1] Le séminaire de 3 jours à la rentrée a nécessité une participation financière des familles de 150€.

[2] Imbert, F (1997). Vivre ensemble, un enjeu pour l’école. Paris : ESF.

[3] Voir http://www.dinascherrer.com/index.php/profil/

[4] Golse, B. et Braconnier, A. (2012). Introduction in Bernard Golse et al., Winnicott et la création humaine, ERES « Le Carnet psy » , 7-15.doi : 10.3917/eres.golse.2012.01.0007