02 – Érotisation des espaces et des relations dans un groupe d’analyse de la pratique
Soumis par Mej Hilblod
Numéro 02- Érotisation des espaces et des relations dans un groupe d’analyse de la pratique
Mej Hilblod
Doctorante contractuelle, CIRCEFT, Université Paris 8 – Saint-Denis
Mots clés : analyse de la pratique professionnelle – analyse de discours – érotisation – discours performatif – espaces privés / publics.
Résumé : Dans le cadre d’une recherche[1] menée par l’équipe de l’axe « Clinique de l’éducation et de la formation – CEF-apsi » du CIRCEFT à l’université Paris 8, recherche portant sur les phénomènes de « désarrimage » chez des adolescents collégiens, j’ai été amenée à co-animer des séances d’analyse de la pratique professionnelle pour une équipe d’enseignants et CPE en collège.Je me propose de rendre compte ici des premiers résultats de ce dispositif de recherche, afin de contribuer, sous l’angle des pratiques enseignantes, à la réflexion sur les conditions de possibles processus identificatoires adolescents.En effet, au fil d’une écoute attentive du discours enseignant et, au-delà de la position subjective prise dans le discours par les professionnels (enseignants et CPE) rencontrés, certaines hypothèses sur le type de relations entretenues par ces sujets singuliers avec les adolescents auprès de qui ils interviennent ont émergé dans le tandem d’animateurs dont je faisais partie.Ces hypothèses éclairent ce qui se (re)joue pour les professionnels au contact avec les adolescents, ainsi que, peut-être, des éléments d’empêchement, dans la relation éducative, de l’accès au savoir.La teneur « érotique » du discours des enseignants, leur intrusion réelle ou fantasmée dans les espaces non scolaires, privés, des familles des élèves figurent parmi les éléments de surprise notables de ce que ce dispositif de recherche a pu me donner à entendre. De plus, un personnage campé par un des participants dans une modalité très « machiste » et sexuellement ambiguë à la fois, a surdéterminé le déroulement des séances et produit des effets tant sur le groupe que, dans l’après-coup, sur les chercheurs animateurs des séances.C’est à partir de repères théoriques comme l’apport de J. Butler (2008) sur le pouvoir des mots dans une perspective d’analyse d’un discours performatif, que ces éléments sont examinés. Les théories de Butler sont également convoquées pour tenter de lire et interpréter les phénomènes d’invasion et d’exclusion de la parole féminine opérés dans le groupe par le participant évoqué plus haut.
Introduction
Cette communication prend sa source dans la recherche collective de mon équipe « Clinique de l’éducation et de la formation, approches psychanalytique, socio-clinique et institutionnelle (CLEF-apsi) » de l’unité de recherche CIRCEFT, université Paris 8. Cette recherche est intitulée « S’arrime à quoi ? – Liens, paroles, rapport au savoir des adolescents décrocheurs ». Elle est cofinancée par le Conseil Régional Île-de-France et la Fondation de France, et conduite en partenariat avec l’association Valdocco d’Argenteuil.
Cette recherche a donné lieu à la conception et à la mise en œuvre de différents dispositifs de recueil de données dans des collèges et auprès de leurs partenaires sur différents sites en région Île-de-France : groupes de paroles avec les élèves ; entretiens collectifs ; entretiens individuels ; observations ; entretiens à médiation par le dessin ; travail sur des rapports d’incidents ; des groupes d’analyse des pratiques professionnelles. D’autres intervenants de ce colloque en ont rendu compte depuis les différents terrains qu’elle comporte.
L’une des hypothèses qui soutient cette recherche collective, est le désarrimage réciproque des adolescents et des équipes, ou, comme le formule François Le Clère (2013), le fait que certains adolescents décrochent les équipes. Nous en avons eu de nombreux exemples sur certains terrains où l’impuissance ressentie par l’équipe enseignante à l’égard des élèves pouvait se manifester sur des registres très agressifs.
Mais dans le cas présent, celui dont je vais parler aujourd’hui, on ne peut pas parler de décrochage d’équipe, ce qui a constitué une première surprise pour nous. L’équipe était présentée par la direction comme stable, très investie dans de nombreux dispositifs, autant en direction des élèves que dans la réflexion sur leurs pratiques. Et c’est le sentiment que nous avons eu en rencontrant quelques membres de cette équipe.
Présentation du dispositif
Ce travail a d’abord été présenté à la direction du collège comme le projet de mener ensemble une réflexion sur les phénomènes de « désarrimage » chez les adolescents, du point de vue des équipes enseignantes.
Après une réunion de présentation de la recherche qui s’est tenue en octobre, qui a réuni douze enseignants sur les trente que compte le collège et à laquelle la principale et la principale adjointe ont participé, huit personnes se sont portées volontaires pour ce travail, sept enseignants et une C.P.E. Quatre séances d’environ quarante minutes ont ensuite eu lieu entre janvier et mars 2014, auxquelles ont participé, selon les séances, quatre à cinq professionnels du collège en plus des deux animateurs du groupe, enseignants-chercheurs de Paris 8, Patrick Geffard et moi-même.
Le groupe ne s’est jamais totalement stabilisé, mais deux enseignants ont participé à l’ensemble des séances et trois autres ont été présents à trois séances sur quatre.
Chacune des séances a été enregistrée avec l’accord de l’ensemble des participants.
Le cadre de travail proposé s’inspirait de celui des groupes d’analyse clinique d’orientation psychanalytique de la pratique professionnelle, mais le dispositif a été adapté aux impératifs de temps ainsi qu’à la relative instabilité du groupe. Les séances n’étaient en effet pas centrées sur un récit proposé par un participant mais il s’agissait plutôt de laisser dialoguer les situations amenées par association par les participants.
À la suite des séances, notre tandem d’animateurs se retrouvait pour « débriefer » et les notes prises à cette occasion servaient de base pour un retour au début de la séance suivante, que j’ai pris en charge. En effet, nous nous étions mis d’accord sur le fonctionnement de notre binôme, étant donné que j’étais novice dans l’animation de tels groupes et que mon collègue en avait une longue expérience. Il a donc pris les rênes de l’animation et j’ai suivi sa direction, tout en gardant le rôle de la reprise de chaque séance. Cette répartition des tâches et des rôles a certainement joué dans le déroulement même des séances, comme je le montrerai plus loin.
Par la suite, nous avons cherché à rassembler et thématiser ce qui s’était dit afin d’en faire un premier exposé lors d’une journée d’études interne à la recherche, rassemblant notre équipe de recherche et nos partenaires. L’exposé d’aujourd’hui s’appuie en partie sur l’exposé d’alors, mais le temps de l’élaboration ayant fait son œuvre et puisque je suis amenée à parler d’une seule voix, je peux également revenir sur des points que nous n’avons pas abordés, faute de recul, peut-être.
Dans un premier temps de cet exposé, je rappellerai de manière synthétique les principaux thèmes que nous avons dégagés ensemble, puis j’avancerai quelques hypothèses sur les effets que notre tandem de chercheurs et d’animateurs a pu produire sur le groupe, en lien avec nos résultats de recherche.
Les trois thèmes sont les suivants
La question des espaces internes et externes et l’érotisation des espaces privés des familles ou des espaces extérieurs au collège
Une position exhibitionniste de l’enseignant : se donner à voir, être « enviable »
La recherche de liens avec les élèves par le tête-à-tête, le face à face, voire le corps-à-corps, ce que j’appellerais aussi la valorisation de l’intime ou de l’intimité dans la relation avec les élèves.
Présentation des thèmes dégagés lors de l’analyse faite en commun par les deux chercheurs
- Espaces internes et externes : l’érotisation des espaces privés des familles ou des espaces extérieurs au collège
Le thème qui a pris la plus grande place dans les échanges du groupe, tout au long des quatre séances, est celui des espaces privé / public, famille / collège, interne / externe et de leurs relations entre eux, notamment par la question d’une possible « intrusion » des enseignants dans l’espace privé de l’enfant.
Deux histoires sont contées lors d’une séance où apparaissait la figure d’un enseignant s’immisçant dans le lieu de vie familiale du collégien: la première concernait le narrateur qui s’était autorisé à accompagner un élève jusque chez lui pour réclamer l’argent de la photo de classe ; la deuxième, racontée par le même participant, mettait en scène un autre enseignant, aujourd’hui à la retraite, qui rebranchait le téléphone d’une famille pour qu’il puisse les joindre à l’avenir, accompagnant son geste d’une phrase assez bourrue, voire cavalière (« voilà, c’est là que ça se branche et maintenant quand je vous appellerai, vous pourrez répondre »).
Ces histoires emportaient l’enthousiasme de certains participants (surtout l’un d’entre eux qui s’était écrié au sujet de la prise en compte de la vie privée des élèves : « Moi j’adore »), mais suscitaient l’embarras de certains autres, surtout deux femmes assez jeunes dans le métier.
Cependant, tant l’embarras des enseignantes que la plainte des élèves concernant la porosité de leurs deux mondes, plainte rapportée par les participants, sont effacées, balayées par l’argument qu’il serait primordial, surtout dans ce type de collège, de « comprendre » le jeune, ce qu’il vit. L’usage qui est fait de cette compréhension n’est cependant pas tout à fait clair dans le discours des enseignants.
Il est à noter que c’est toujours l’enseignant, et lui seul, qui est mis en scène comme se trouvant en position de maîtrise de la circulation entre les territoires privés, d’une part, et professionnels ou publics, d’autre part. C’est l’enseignant qui paraît être imaginé comme dessinant lui-même les limites et les frontières des deux mondes, et c’est également lui qui serait en possibilité de décider des éventuelles « traversées des frontières », ces passages de limites relevant éventuellement d’une dimension de « transgression ».
Par ailleurs, les espaces externes au collège nous ont paru être à plusieurs reprises fortement investis fantasmatiquement et sous un registre d’érotisation parfois fort peu dissimulé. Cela a été le cas dès la 1re séance où il a été question d’une mère d’élève dont il est d’abord dit qu’« elle tenait le bordel dans l’quartier », puis, se tournant vers nous, l’intervenant précise « c’est vrai, sa mère tenait [un] bar à hôtesses ». Dans un humour nettement teinté de provocation, les hommes présents lors de cette séance évoquent alors la possibilité d’obtenir des prix au rabais dans ce lieu.
Cet épisode m’a fait penser à Freud (1940, trad. 1988) et à sa théorisation du mot d’esprit « grivois » ou « tendancieux » : « Le mot d’esprit tendancieux a généralement besoin de trois personnes : outre celle qui fait le mot d’esprit, il en faut une deuxième, qui est prise comme objet de l’agression à caractère hostile ou sexuel, et une troisième, en qui s’accomplit l’intention du mot d’esprit, qui est de produire du plaisir » (p. 193). Ici, la cible de l’agression est bien entendu la mère de l’élève, (mais il me semble qu’à travers elle, les femmes présentes dans le groupe le sont aussi), ce qui va dans le même sens que dans la théorisation de Freud où des trois protagonistes nécessaires à la grivoiserie, il faut deux hommes et une femme : « Voici comment on peut décrire la façon dont les choses se déroulent : l’impulsion libidinale du premier des trois, dès qu’elle voit sa satisfaction inhibée par la femme, manifeste une tendance hostile à l’égard de cette deuxième personne et fait appel à la troisième […] afin d’en faire son alliée. Du fait des propos grivois tenus par le premier des trois, la femme est dénudée devant ce tiers, lequel […] se trouve gagné par le fait que sa propre libido est satisfaite sans effort » (Ibid., p. 193-194).
La mère de l’élève est donc d’une certaine manière dénudée pour le compte des hommes présents dans le groupe, tandis que les femmes du groupe sont placées dans une position ambiguë, tendue entre la masculinisation si elles rient à la plaisanterie et l’humiliation partagée avec la mère si elles s’identifient à la position féminine.
Je reviendrai sur la question des rapports homme / femme dans ce groupe, question qui a été soulevée à plusieurs reprises dans le groupe, en particulier dans des modalités proches de celle-ci (par exemple lorsque le taux de testostérone dans le groupe a été évoqué, comparé à celui de la séance précédente, puis évoqué à nouveau à la séance suivante).
Mais pour en revenir à notre exemple, la mère d’élève venait d’être évoquée à propos d’une collégienne dont le même intervenant, parlant des rapports entre la jeune fille et les professeures femmes, avait indiqué : « j’ai l’impression qu’il y avait une forme de rivalité ». Ce qui est approuvé par l’une des participantes qui ajoute : « quand on discute un peu avec elle, c’est ce qui en ressort aussi. Le mot de “compétition” peut ressortir quand on parle avec cette élève des rapports qu’elle peut entretenir avec certains enseignants. »
Mais au-delà de cette situation singulière, on peut avancer l’hypothèse que ce sont les enseignants eux-mêmes qui sont en quelque sorte travaillés par une mise en concurrence avec les espaces extérieurs. Une concurrence basée sur les attractions opérées par les uns et les autres, le monde extérieur au collège d’une part, dans sa dimension familiale ou sociale, et, d’autre part, l’espace de la classe où l’enseignant est amené à s’exposer. D’où peut-être la mise en jeu du corps même de l’enseignant, de sa personne privée, de sa personnalité et de ses goûts, dans une tentative pour contrer d’autres attractions où les liens sont imaginés comme potentiellement plus forts que ceux qui peuvent être tissés au sein du collège. J’évoquerai ce point un peu plus tard.
La question des activités illégales auxquelles peuvent participer les collégiens, ce que les enseignants désignent par le terme de « bizness », revient régulièrement au fil des séances. Lors du début de la quatrième séance, après que nous avons évoqué le thème du dedans et du dehors qui nous avait paru être présent à plusieurs reprises lors de la séance précédente, l’un des participants reprend en disant que cela le fait penser à un élève avec qui « il y avait énormément de soucis qui se posaient au niveau de ce qu’il faisait à l’extérieur de l’établissement / beaucoup de “bizness” ».
Mais l’attractivité de certaines activités extérieures n’oppose pas véritablement le travail scolaire dans les murs et le trafic en dehors, car ainsi que l’indiquent deux participants dans une forme de dialogue, « ce que leur propose l’environnement extérieur leur parle plus que ce qu’ils vont trouver à l’école », « même quand c’est une démarche positive entre guillemets, une démarche légale », « d’autant qu’ils vont penser qu’ils apprennent plus de choses à l’extérieur de l’école que dans l’école parce que pour eux c’est tout de suite applicable ».
Les espaces extérieurs au collège, parfois chargés d’érotisation, apparaissent ainsi dans le discours des enseignants selon des formulations marquées par l’ambivalence, en ce qu’elles oscillent souvent entre le menaçant et le désirable, et l’enseignant semble tenter une reprise en main par la maîtrise de la circulation entre le collège et ces espaces.
- Une position exhibitionniste de l’enseignant : se donner à voir, être « enviable »
Je ne développerai pas ce pointici, me contentant de vous rappeler le discours revendiquant une forme de « monstration » de la part d’un participant en particulier, toujours dans la maîtrise de ce qui est donné à voir à l’élève, dans un mélange de séduction et d’attraction, qui peut être rapproché de ce qui a été dit plus tôt sur la compétition avec les espaces externes au collège, fantasmatiquement ou réellement plus attractifs pour les collégiens que ce que peut apporter l’enseignant.
- La recherche de liens avec les élèves par le tête-à-tête, le face à face, voire le corps-à-corps : l’intime valorisé
Le troisième thème ayant traversé l’ensemble des séances est celui de la nature des liens entretenus ou recherchés avec les élèves. Deux modalités étaient envisagées, l’une d’une manière explicite et valorisée, le tête-à-tête, la relation privilégiée ; l’autre de manière fantasmatique et plutôt sur un mode dénégatif, le corps-à-corps. Celui-ci était lié soit à la violence, qu’il s’agisse de celle des élèves ou de celle des enseignants, soit à la sexualité, avec l’exemple d’un professeur de français, participant du groupe, qui dans une rédaction d’élève se trouve confronté au récit d’attouchements subis dans l’enfance. Dans le récit qu’il en fait, c’est son propre rôle qui se trouve mis en jeu de manière fantasmatique, puisqu’il parle de « confier le bébé », de « mettre en branle le système » sur un mode d’énonciation qui trahit son embarras, voire son excitation.
La violence physique des élèves a beaucoup hanté nos séances, et elle était mise en lien de manière tout à fait explicite avec la propre violence des enseignants, ce qu’ils ressentaient comme violence interne.
Ainsi, si je reprends les trois thèmes dégagés : l’érotisation des espaces privés ; la position exhibitionniste de l’enseignant ; et la valorisation de l’intime, la recherche de liens avec les élèves, se posent la question de la place du savoir dans l’espace du collège et celle d’un possible « langage commun » avec les élèves.
Pour aller plus loin : une tentative de compréhension des phénomènes de circulation de la parole dans le groupe, en miroir du tandem d’animateurs
Mais ce qui m’apparaît aujourd’hui, plus qu’alors, comme une clé de compréhension de ce qui s’est joué lors de ces séances d’analyse de la pratique, c’est l’effet de notre duo d’animateurs sur le groupe, appréhendé par le biais d’une analyse du discours : en cherchant à repérer les types de discours charriés par les paroles des participants, celui du discours sexiste m’est apparu comme une évidence, sans doute parce que mes orientations théoriques (notamment Butler, 2008), m’y rendent particulièrement sensible, mais aussi parce que je m’en suis sentie l’une des victimes. Ce discours, je le qualifierai de discours porté depuis une position de pouvoir rendant inintelligibles les paroles des femmes, disqualifiées.
Je fais en effet l’hypothèse que l’un des participants, se mettant au centre de la parole et de l’attention de tous, se chargeant de reformuler, se faisant le porte-parole de l’équipe enseignante face aux chercheurs, rejouait une modalité de sa relation avec les élèves, déplaçant le rapport de pouvoir avec ceux-ci sur les femmes, mises en minorité symbolique.
Ce qui, d’après moi, a pu faciliter, voire provoquer, ce déplacement, est précisément ce que nous lui donnions à voir en tant que couple d’animateurs : moi, femme, novice, plus jeune, peut-être en formation, à côté de mon collègue plus expérimenté, homme et sans doute plus assuré.
Ainsi, lors d’une reprise en début de séance que j’avais préparée et que j’étais en train d’exposer, ce participant prit la parole et corrigea ma formulation, comme il avait pu le faire à d’autres reprises quand des participantes s’exprimaient, mais ce qu’il n’a jamais fait lorsque mon binôme masculin s’exprimait. Il fallut que je lui reprenne la parole pour finir ma présentation.
Si mon hypothèse est exacte, la position dans laquelle sont mis les collégiens en serait en partie dévoilée : il s’agit d’une position de passivité, obligés qu’ils seraient de subir l’intrusion dans leur espace privé, l’exhibition de la vie privée de l’enseignant et la mise en discours et en sens de ce qu’ils vivent, sur le mode explicatif : tu es agitée en cours mais c’est parce que tu es victime de harcèlement dans la cité, par exemple. Cette modalité de discours se rapproche de ce que Michel Foucault (1976) a pu décrire en son temps du fonctionnement d’un savoir-pouvoir psychologisant, objectivant, donc ayant des effets de subjectivation.
Conclusion provisoire
Le croisement d’une analyse clinique de la situation avec une analyse en termes de pouvoir, voire de domination masculine, peut être opéré dans ce cas d’une manière fructueuse. De nombreuses discussions existent en effet dans le champ même de la psychanalyse sur la prise en compte des théories queer sur l’identité genrée et sur la performativité des discours : il s’agirait de faire dialoguer les études de genre américaines, dont l’un des socles théoriques est Foucault (1976), avec Lacan, comme l’indiquent Tim Dean (2006), Marcia Aran (2011), ou encore les travaux de Laurie Laufer (notamment, 2015). Mais le lien peut être fait également par le recours aux « savoirs situés » (Haraway, 1988, 2004) que l’on peut rapprocher du postulat clinique d’une impossible et non souhaitable « objectivité » du chercheur. De fait, c’est par ma position de femme dans le groupe que je me trouve prise dans le discours minorisant du participant homme et c’est bien de cette position que je parle lorsque je mets aujour son discours. Ne cherchant pas à nier la source de ma connaissance, j’en fais valoir au contraire la potentialité heuristique. M’appuyant sur mon expérience clinique, et sur une élaboration contre-transférentielle de la situation, j’avance ensuite une hypothèse concernant non plus les femmes, mais les collégiens et collégiennes.
La forte tonalité fantasmatique, érotique, du discours ayant circulé dans le groupe tout au long de notre travail auprès d’eux m’encourage également à faire ces liens entre savoir, sexualité, et genre.
Bibliographie
Arán, M. (2011). Pour une nouvelle cartographie du désir : genre et subjectivité chez Judith Butler. Champ psy, n° 58(2), 53‑65.
Butler, J. (1997, trad. 2004, 2008). Le pouvoir des mots: discours de haine et politique du performatif (Nouvelle édition). Paris: Éd. Amsterdam.
Dean, T. (2006). Lacan et la théorie queer. Cliniques méditerranéennes, no 74(2), 61-78.
Foucault, M. (1976). Histoire de la sexualité. 1, La volonté de savoir. Paris : Gallimard, impr. 1976.
Freud, S. (1905, 1940, trad. 1988). Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient. (D. Messier, Trad.). Paris : Gallimard.
Haraway, D. (1988, trad. 2004). Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle. Multitudes, (12).
Laufer, L. (2015). Une psychanalyse foucaldienne est-elle possible ? Nouvelle revue de psychosociologie, 20(2), 233-246.
Le Clere, F. (2013). Les adolescents, « décrocheurs » d’équipe ? Cliopsy, 9, 53-64.
[1] « Liens, paroles, rapport au savoir des adolescents décrocheurs », Université Paris 8, Fondation de France, Conseil Régional d’Île-de-France.